Pour une allocation carbone universelle


Économie & Finance, Environnement, Essai / mardi, septembre 1st, 2020

En dénonçant le poids de la taxe carbone sur les bas-revenus, les gilets jaunes nous ont montré qu’équité et écologie sont indissociables. Cette taxe a manqué d’équité, mais aussi d’efficacité : remplaçons-la par une allocation carbone universelle, s’inspirant des systèmes d’échange de quotas d’émissions (SEQE). Je développerai les avantages de cette solution avant d’en aborder les inconvénients.

Avantages

  1. Efficacité

Les SEQE sont des marchés d’échange de quotas, ils permettent de mieux répartir la réduction des émissions : ceux pour qui elle coûte moins que le prix du quota réduiront plus leur émissions qu’ils ne l’auraient fait avec une taxe, pour vendre ensuite leur quota à ceux à qui cela coûte plus.

Exemple : A et B émettent chacun 100u et ont les coûts de dépollution suivants (en €)

Pour réduire les émissions l’Etat fixe une taxe de 15€/10u émise. 

A va affecter 15€ pour réduire ses émissions à 80 (5+10) et il va payer la taxe pour 80 unités. Il va donc payer un total de 15 + 8*15 = 135€. 

B va affecter 15€ à la dépollution et payer la taxe pour 90 unités. Il va donc payer un total de 15 + 9*15 = 150€. 

Le coût pour les deux acteurs est de 285€ et on a réduit les émissions globales de 30, soit un coût de 9,5€/u. 

            Si l’Etat vends 8 quotas échangeable coutant 15€ à chacun : 

A achètera 8 quotas (120€), réduira ses émissions à 70 unités (31€) et revendra son quota en trop à B pour 18€ : son coût total est de 133€. 

B achètera 8 quotas (120€), réduira ses émissions à 90 unités (15€) et achètera un quota à A pour 18€ euros : son coût total est de 153€. 

Le coût pour les deux acteurs est de 286€ et on a réduit les émissions globales de 40, soit un coût de 7,15€/u. A, plus efficace a pris en charge la réduction pour B, moins efficace. 

2. Equité et redistribution

Comme la TVA, la taxe carbone pèse de manière inégale sur les ménages : elle représente 1,8% des revenus du décile le plus pauvre contre 0,4% du plus riche.

Exemple : si A émet 200u et B, 100u, une taxe de 1€/u coûte plus cher à A, mais si A gagne 4000€ et B 1000€, alors A consacre 5% de ses revenus à la taxe contre 10% pour B. 

De plus cette taxe concerne le domaine de l’énergie (chauffage, transport), y réduire ses émissions est lent et plus aisé pour les plus riches. Acheter une voiture électrique ne se fait pas tous les ans et c’est plus facile avec de l’argent.

Contrairement à une taxe où il faut compenser un effet inégalitaire, l’allocation agit positivement sur les inégalités. Les revenus inférieurs émettent en moyenne moins de CO2 (Malliet 2020) si on leur attribue le même nombre de quotas qu’aux ménages aisés, cela constitue de fait un transfert monétaire : ils vendront leurs quotas surnuméraires aux ménages aisés. 

Les gain et coûts pour les ménages ont été calculé sur la base d’un coût mirobolant de 1000€ la tonne de CO2afin de simuler un revenu universel (d’où le titre du billet) : à ce niveau un citoyen du 1° décile gagnerai 8700€/an soit 725€/mois, tandis qu’un citoyen du 10° décile payerai 1366€/mois. Un prix du carbone à 100€/tonne est plus crédible politiquement. 

3. Fuite de carbone et délocalisation

La taxe carbone affecte seulement la consommation d’énergie et la production locale, provoquant selon certains des délocalisations, sans impact sur les émissions mondiales. Cela aurait même un effet négatif puisque les technologies et les standards écologiques diffèrent entre pays. Cette « fuite de carbone » fait dire à William Nordhaus, économiste à Yale, qu’une taxe restreinte à la moitié des pollueurs mondiaux ne permettrai pas d’atteindre l’objectif des 2°C (The Economist, 28/11/2015). En France, Paul Malliet estime que les émissions importées représentent 50% de nos émissions totales. 

L’allocation carbone pèse sur le consommateur : elle ne provoque pas de délocalisation. Cela rejoint l’idée de la TVA sociale qui veut faire peser la fiscalité sur la consommation plutôt que la production, en évitant toutefois son effet anti-redistributif. En effet le premier décile consacre 2 fois plus de ses revenus à la TVA que le dernier décile (Nicolas Ruiz, 2008). 

Si l’OMC le permet on peut même y intégrer la distance parcourue par l’objet (en fonction du mode de transport, des chaînes de productions…).

4. Consommateur et entreprises

Ce système serait pédagogique : gérer un budget carbone concrétiserait les messages des ONG nous incitant à adopter des gestes simples pour réduire nos émissions (préférer le poulet au bœuf, se déplacer à vélo). 

Comme les entreprises seraient obligées de tarifier le carbone, elles le comptabiliseraient dans leurs coûts de productions. 

Cela leaderait aussi la naissance d’un écosystème de start-up à l’esprit pionnier pour nous aider à disrupter les inputs de notre budget carbone. Autrement dit, en français : cela favoriserait l’innovation. 

Inconvénients

  1. Mise en place ardue

Le plus gros frein à cette idée est sa mise en place : estimer le coût carbone des produits est probablement lourd.  Pour cela on peut imaginer que l’ADEME, à l’aide de sa base de données déjà existante, réalise une première approximation. Les marques désirant une estimation plus fine auront la possibilité de demander une certification à un cabinet agréé. 

Exemple : selon l’ADEME 1kg de blanc de poulet émet 4,9 kg de CO2, mais d’après une certification le kg de blanc de poulet bio-locavore Biomiam n’émettrait que 3kg de CO2

La collecte des quotas serait réalisée par les entreprises à l’achat des biens, à l’instar de la TVA. On peut imaginer un règlement avec une carte carbone, compatible avec les terminaux des cartes de crédit. 

Une mise en place par étape, selon le secteur (habillement, alimentaire, internet) faciliterait le processus. De plus cela permettrait aux secteurs où l’élasticité-prix de la demande est forte d’avoir le temps d’adapter leur offre.  

2. Quel impact sur la population ?

La répartition des pollueurs fait que certains citoyens du premier décile polluent plus que les 15t moyennes de ce décile, cependant plus de 75 % d’entre eux restent sous les 24 tCO² et se retrouveraient sans payer de taxe. On pourrait répartir les quotas de sorte à limiter ce risque : le premier décile recevrait 26 tonnes de quota, tandis que le dernier décile recevrait 24 tonnes.

Montrer aux catégories défavorisées qu’elles polluent moins que le reste de la population pourrait les inciter à polluer. Cependant je pense que l’incitation financière à revendre ses quotas sera plus forte (même si cela reste à étudier). 

Augmenter la charge fiscale pesant sur les plus riches, risque également d’augmenter l’exil fiscal des travailleurs à haut-revenus, comme l’a fait l’ISF pour les propriétaires du capital. Penser ce SEQE à un niveau européen plutôt que français réduirait ce risque « d’exil vert ». 

3. Cours et spéculation

Les SEQE ont pu montrer leurs failles dans le passé, avec des prix trop bas en Europe… Or, la définition du prix est centrale dans ce système. Heureusement nous disposons désormais d’une forte expérience sur ce point pour limiter la variation du prix entre maximum (pour protéger les plus gros pollueurs) et un minimum (pour rester incitatif), notamment avec la constitution de réserve stratégique de quotas. 

Cette solution peut paraître un peu utopique, avec une mise en place difficile et un prix difficile à fixer lui aussi. Elle permettrait toutefois de réduire les émissions de manière efficace et juste tout en jetant une lumière nouvelle sur notre consommation (qui est surconsommation). Comment utiliser les fonds issus de la vente des quotas ? Construire des infrastructures vertes pour la population (TGV, métro) ou abonder un fonds (européen) pour l’innovation ? 

Article écrit par Tobias Cantalloube

Source et liens : 

Définition et fonctionnement d’un SEQE : 

https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/marches-du-carbone#e0

Comparatif des différents outils de réduction des émissions (taxe, SEQE, norme) :

Coût taxe carbone pour les ménages pauvres : Impact redistributif de la taxe carbone, Paul Malliet et Aurélien Saussay (Page 2 §2)

https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2017/OFCE-Fiche7-Taxe-carbone-12-07.pdf

Graphique : L’empreinte carbone des ménages français et les effets redistributifs d’une fiscalité carbone aux frontières, Paul Malliet (tableau 1, page 6)

https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf-articles/actu/carbonevf.jpg.pdf (il existe aussi un rapport de l’ADEME plus complet)

TVA sociale :

https://fr.wikipedia.org/wiki/TVA_sociale

Nicolas Ruiz 2008, Le caractère régressif des taxes indirectes : les enseignements d’un modèle de microsimulation (pour le taux d’effort voir tableau 4, page 10):

https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_2008_num_413_1_7034

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