Les failles de la justice américaine
En 2014, l’Association américaine de psychologie a publié une étude intitulée The essence of innocence : Consequences of dehumanizing black children. Dans cette dernière, les chercheurs montrent que les enfants et adolescents afro-américains subissent une « déshumanisation » de la part du reste de la société, et en particulier de la police et de la justice américaines.
Si l’enfance est spontanément associée à l’innocence, ces chercheurs ont montré qu’au sein de la société américaine, l’enfant noir ne bénéficierait pas de cette vision. Il serait perçu comme plus dangereux et moins innocent qu’un enfant blanc.
Ainsi, un policier et un juge perçoivent systématiquement les enfants afro-américains comme étant plus âgés de 4,5 ans en moyenne qu’ils ne le sont réellement. Par exemple, un enfant noir de onze ans aura tendance à être considéré comme s’il en avait 15,5 ans.
En conséquence, les enfants afro-américains ont dix-huit fois plus de risques d’être jugés comme des adultes que les enfants blancs. Cela signifie que les peines appliquées seront plus sévères.
Lorsqu’ils sont incarcérés, ces enfants ont ensuite deux fois plus de risques d’être victimes de violences de la part d’un gardien, cinq fois plus de risques de subir une agression sexuelle et ont huit fois plus de risques de se suicider.
Ces inégalités touchent également les adultes. Ainsi, on estime que pour des crimes similaires, la peine d’un homme noir est, en moyenne, 20% plus longue que celle d’un Blanc.
L’incarcération massive
Les États-Unis ont le taux d’incarcération le plus élevé au monde. En 2013, il y a ainsi 2,3 millions de détenus sur une population totale de 315 millions d’habitants.

Les cinq dernières décennies ont été marquées par un durcissement considérable de la politique pénale. Les délits liés à la consommation de drogue ont, par exemple, été progressivement plus sévèrement punis.
En 2018, une réforme pénale a été adoptée pour mettre un terme à l’incarcération de masse mais les changements sont timides.
Or, l’incarcération de masse est délétère. Tout d’abord, elle est coûteuse. On estime qu’elle absorbe 80 milliards de dollars par an.
Ensuite, l’incarcération massive renforce également les inégalités sociales. En fonction de sa « race », de son genre et de classe, un habitant n’aura pas du tout les mêmes risques d’être emprisonné.
La population afro-américaine est ainsi celle qui est le plus touchée par l’incarcération massive. C’est la conséquence de conditions de vie marquées par des difficultés sociales et économiques. Ainsi, pour deux Américains blancs, onze Américains noirs sont incarcérés.
Un homme noir non diplômé a une probabilité de 60% d’être emprisonné durant sa vie.
En 2010, Michelle Alexander, professeure de droit, a publié un ouvrage intitulé The New Jim Crow et qui aborde la question du racisme au sein du système juridique américain.
M. Alexander défend l’idée selon laquelle « le système juridique américain a recréé une forme de ségrégation et de contrôle social des noirs, après la fin officielle des politiques de ségrégation en 1964 ».

Cet ouvrage a été un véritable best-seller aux États-Unis mais en 2010, la Caroline du Nord et la Floride en ont interdit la lecture aux détenus, provoquant un scandale.
Les conséquences démographiques, économiques et sociales
Un parent emprisonné ne peut plus subvenir aux besoins de sa famille. Par ailleurs, aux États-Unis, un ancien détenu ne peut plus bénéficier d’un logement social. Une fois sorti de prison, sa stabilité économique est donc loin d’être assurée.
Par ailleurs, l’équilibre familial est rompu. Le conjoint d’un détenu et leurs enfants pâtissent de cette situation. Les enfants doivent ainsi supporter l’absence d’un de leurs parents pendant une longue période. En 2014, on estime ainsi que 3% des enfants américains ont un parent emprisonné.
La santé d’un détenu est aussi mise à mal. D’une part, de nombreux abus sexuels sont commis en prison et diffusent le VIH. D’autre part, les conditions de vie détériorent la santé mentale des détenus.
La prison : un enjeu économique
Aux États-Unis, on estime que le complexe carcéral emploie directement plus de 800 000 personnes, soit bien plus que l’industrie automobile.
En 2011, l’Association Américaine pour les libertés civiles (ACLU) a publié une étude qui montre que cette « inflation carcérale » s’explique, en grande partie, par la recherche du profit.
Sources
ROCQUILLON Charlotte, « Racisme et militarisation : la face cachée de la police américaine », Le Monde, 2014, (https://www.lemonde.fr/mmpub/edt/zip/20140821/091235/index.html, site consulté le 28 juin 2020)
ATIBA Goff P., JACKSON M., CULOTTA C. M., DI TOMASSO N. et DI LEONE Lewis, « The essence of innocence: Consequences of dehumanizing black children », Journal of Personality and Social Psychology, 2014, vol. 106, pp. 526-545. (https://www.apa.org/pubs/journals/releases/psp-a0035663.pdf, site consulté le 28 juin 2020)
DUVOUX Nicolas, « Prison : le contre-exemple américain », Le Monde, 29 juin 2014, (https://www.lemonde.fr/societe/article/2014/06/29/prison-le-contre-exemple-americain_4447501_3224.html, site consulté le 30 juin 2020)
LEVENSON Claire, « Ce livre sur le racisme du système judiciaire américain est interdit dans plusieurs prisons », Slate, 20 janvier 2018, (http://www.slate.fr/story/156562/livre-racisme-prison-etats-unis, site consulté le 30 juin 2020)