Le titre de cet article n’annonce rien de bon. La valorisation monétaire des ressources naturelles semble être le nouvel effort des économistes afin de repousser les frontières de leur champ d’action, d’étendre encore un peu plus la prééminence de leur paradigme. Pire, la valorisation ne serait qu’une étape vers la marchandisation. Cette approche apparait donc comme impropre, a priori. Pourtant, une analyse plus attentive permet de comprendre que les objectifs sont louables et que la réalisation peut s’avérer salvatrice, même si les critiques demeurent.
L’idée originelle justifiant la valorisation économique de la biodiversité est la suivante : c’est l’illusion de la gratuité des services rendus par les ressources naturelles (alimentation, dépollution, pollinisation, etc.) qui conduit à leur surexploitation, voire à leur anéantissement. Les Nations unies ont en effet estimé en 2005 que 60% des services écosystémiques de la planète étaient dégradés ou en voie de l’être.[i]
Prenons un exemple. Le comté de Maoxian dans la province du Sichuan, en Chine centrale, a perdu ses pollinisateurs du fait de l’utilisation effrénée de pesticides et de la surexploitation du miel. Depuis, des milliers de villageois assurent manuellement la pollinisation en soupoudrant les fleurs à l’aide de pinceaux.[ii] Finalement, le coût de la pollinisation manuelle est supérieur aux bénéfices liés à l’utilisation de pesticides et à la surexploitation du miel. L’opération n’est donc pas économiquement rentable. Or, comme le service de pollinisation naturel était considéré comme gratuit, les exploitants chinois n’ont pas pu le prendre en compte, ce qui a biaisé leurs calculs. C’est pourquoi la valorisation du service naturel à hauteur du coût de la pollinisation manuelle aurait pu permettre la conservation de l’écosystème. Ici, la valorisation n’est aucunement le préalable à la marchandisation, mais à la protection !
C’est ce qu’expliquent les auteurs du rapport TEEB[iii] présenté lors de la COP10 à Nagoya (Japon) : « La nature est une source de valeur importante au quotidien mais il n’en demeure pas moins qu’elle n’apparaît guère sur les marchés, échappe à la tarification et représente un défi pour ce qui est de l’évaluation. Nous sommes en train de nous apercevoir que cette absence d’évaluation constitue une cause sous-jacente de la dégradation observée des écosystème et de la perte de biodiversité ». La finalité de la valorisation est bien d’intégrer les enjeux environnementaux dans le calcul économique afin d’éclairer les décisions collectives.
Néanmoins, deux questions centrales continuent de faire débat. La première : comment évaluer économiquement les ressources naturelles de manière systématique et rigoureuse ? En effet, estimer correctement la « valeur économique totale » d’une ressource naturelle est extrêmement complexe car cette valeur est bien souvent plurielle et peu quantifiable. Par exemple, le Lac d’Oô dans les Pyrénées a une valeur contemplative (valeur d’usage directe) et participe à la régulation locale du climat (valeur d’usage indirecte). De plus, sa protection actuelle permettra d’en faire profiter nos enfants (valeur de non-usage de legs) et de conserver la richesse de son écosystème à l’avenir (valeur de non-usage d’existence). Enfin, la complexité des interactions naturelles est telle que la valeur totale n’est souvent connue qu’une fois la ressource disparue. Le second point de débat est davantage idéologique. Nombre d’écologistes considèrent que l’approche économique des ressources naturelles cache un rapport purement utilitaire à l’égard de la nature et, en ce sens, est incapable de penser les questions éthiques attachées à sa préservation.
Conscients de ces limites, nous pouvons considérer avec le recul nécessaire les tentatives d’évaluation globale, c’est-à-dire les réponses à la question : combien vaut la Terre ? L’estimation la plus « sérieuse » à ce jour est celle du TEED qui estime la valeur de l’ensemble de la biodiversité terrestre à 14 000 milliards de dollars. Évidemment, ce résultat est peu pertinent mais permet de réaliser que la valorisation aujourd’hui implicitement nulle de la biodiversité est une bévue et, in fine, une menace pour cette dernière.
Benjamin Ménard (ESSEC)
[i] millenniumassessment.org/documents/document.447.aspx.pdf
[ii] Economie de l’environnement et économie écologique, Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux, 2015
[iii] The Economics of Ecosystems and Biodiversity, www.eurosfaire.prd.fr/7pc/doc/1288011204_teeb_2010.pdf